Tonnie Huijzendveld (Arnoldus)
Géoarchéologue
Deux môles
En 1614 le pape Pie II écrit dans ses Commentaires1 “L’empereur Claude a construit un port qui était protégé du côté gauche aussi bien que du côté droit par des môles et dans l’entrée du port, où la mer est plus profonde, par une digue transversale”. Le bassin portuaire de Claude se trouve à peu près 2 km au nord d’Ostie, dans les environs de la cité Romaine de Portus.
La construction a commencée en 42 apr. J.C. et était finie par Néron en 64. Pour commémorer l’inauguration l’empereur donnait l’ordre de battre une série de monnaies en bronze avec au revers des représentations du port. Sur ces monnaies le port de Claude est rendu en détail avec des vaisseaux de commerce en mer, deux môles qui suivent le pourtour de la monnaie et, au milieu de l’entrée du port, un phare avec une statue.
Jusqu’aujourd’hui une partie du môle méridional est conservée, quoique cachée sous la digue du Tibre. Mais une partie du môle septentrional vers l’intérieur du pays est bien visible sur une longueur de plus ou moins 750 mètres, à côté de la Via dell’Aereoporto di Fiumicino et derrière le Musée des Navires. Cette partie a été fouillée pendant la construction du nouvel aéroport de Rome dans les années 60 du siècle passé. Plus loin, vers l’ouest, il n’y a plus de vestiges visibles de cette jetée. Aussi des sondages, entrepris sous les auspices de la Soprintendenza Archeologica di Ostia, même à une profondeur de quelques mètres, n’ont plus livré de traces de ce môle. La disparition de cette jetée est causée par la croissance rapide des dunes sur le littoral à travers les siècles, et, plus spécialement, pendant les siècles derniers. Les môles du port de Claude sont en effet couverts par le sable des dunes (Cf. l’article ‘Comment le littoral d’Ostie a changé à travers les siècles.’). De ce fait l’extension et l’orientation réelles sont tombées dans l’oubli pendant des siècles.La position oubliée du port
Ci-dessous nous donnons un aperçu de la façon dont le bassin de Claude a été représenté à travers les âges.
Sur les cartes du 16ième et 17ième siècle le port de Claude est toujours dessiné (d’ailleurs correct) comme un bassin étendu, limité au nord et au sud par des jetées courbées vers l’entrée du port à l’ouest, où se trouvait le phare.
A partir de la première moitié du 19ième siècle apparaissent des représentations avec un bassin beaucoup plus restreint dont l’axe est tourné de 90°. Sur ces cartes l’ouverture vers la mer est située au nord et le phare se trouve à gauche de cette entrée.
Cette reconstruction erronée apparaît malheureusement encore régulièrement dans des publications récentes.
L’origine de ces interprétations fausses est certainement due à la sous-estimation de l’ampleur des sédiments naturels qui ont couverts ces structures lors de l’expansion de la ligne côtière pendant les siècles derniers. A partir du 19ième siècle jusqu’à la première moitié du 20ième siècle cette présentation fautive était acceptée généralement. Pendant les années 60 du siècle passé cette interprétation était mise en discussion par entre autre Castagnoli et Giuliani4. En se basant, entre autre sur les photos aériennes ces savants sont retournés vers l’hypothèse ancienne: un grand bassin, orienté est – ouest. Mais, comme il paraîtrait plus tard, même à ce moment l’ampleur du port était fortement sous-estimée.
Retour vers une idée ancienne
Seulement les dix dernières années une série de forages a démontré que le port était en effet sans aucun doute orienté est – ouest et qu’il s’étendait plus loin en mer que l’on avait pensé auparavant. La distance entre les limites du port sur la terre ferme (Monte Giulio) et l’ilot du phare était environ de 2 km.
Pendant des forages, exécutés entre 2004 et 2007, on a rencontré à une profondeur de quelques mètres les restes de la jetée, couverts par le sable des dunes et de la mer. Les restes de l’ilot du phare et les bouts des deux môles se trouvent à l’ouest de la Viale Coccia di Morto à Fiumicino. La partie la plus étendue du môle méridional se trouve sous le Leonardo da Vinci Airport Hotel (une ancienne verrerie) à la Via Portuense et l’ilot du phare se trouve sous une casse au nord de la Via della Foce Micina en face de la via dei Capitoni à Fiumicino. La reconstruction moderne montre deux jetées qui s’étendent en mer et l’ilot du phare, séparé par les ouvertures du port5. Une troisième ouverture, plus étroite (probablement seulement un canal) est attestée entre le môle septentrional et le Monte Giulio6. Il est remarquable que les distances différentes rendues dans la reconstruction d’Antonio Labacco7 au 16ième siècle étaient pratiquement correctes (Cf. fig. 4).
Les données trouvées sont comparées, tant que possible, avec une représentation (déformée digitalement) d’une fresque d’A. Danti de 1582, ce qui prouve non seulement la fiabilité de l’image de la fresque mais aussi la visibilité à cette époque de l’ilot du phare et des môles avant que le tout était couvert par le sédiment des dunes croissantes.
Les écrivains de cette époque ont confirmés la visibilité des ruines et du phare en mer. Giuliani cite à ce sujet Biondo Flavio qui a écrit en 1558 “De cette tour on peut voir encore une partie considérable debout quoiqu’il reste fort peu du marbre dont le bâtiment était couvert”9. Mais c’est le pape Pie II qui nous donne les informations le plus précieuses dans un message de 1614: “Il y a encore des restes visibles de la tour loin dans la mer. Tout le reste a complètement disparu”10.
Deux méthodes de construction
Pendant les forages exécutés dans les parties saillantes du côté de la mer on n’a pas trouvé de mortier, seulement de grands blocs de basalte et de tuf encastrés dans le sable gros et qui forment une bande de décombres qui à la base a une largeur d’au moins 60 mètres. Ceci suggère que les môles ont été construit par l’entassement au fond de la mer de pierres sans aucune cohésion, ce qui correspond avec la description de la construction du port de Civitavecchia par l’écrivain Romain Pline le Jeune11 “Le côté gauche de ce port est soutenu d'un ouvrage fort solide : on travaille actuellement au côté droit. Au-devant est une île qui rompt l'impétuosité des flots que les vents pourraient y pousser avec trop de violence, et qui des deux côtés assure et facilite l'entrée aux vaisseaux. C'est une merveille que cette île: on l'élève d'une manière surprenante. De grands bâtiments transportent en cet endroit des rochers presque entiers: on en jette continuellement les uns sur les autres, et leur propre poids, qui les affermit et les lie, en fait une espèce de digue. Déjà l'île parait à l'entrée du port. Elle brise et jette fort haut les vagues qui la viennent heurter: cela ne se fait pas sans un grand bruit, et sans couvrir toute la mer d'écume.”
Mais il y a plus. A. De Graauw12 a démontré comment sous la force des vagues des brise-lames modernes construits avec des pierres amassées s’effondrent en dessus et s’élargissent en dessous avec comme résultat que la construction change d’un môle émergeant de l’eau vers une jetée sous-marine. Normalement c’est ce qui se passe dans un stade plus tard.
L’abaissement progressif de la base et l’effondrement du sommet des amas de pierre, combiné avec l’entassement de sable causé par le changement du littoral, nous laisse comprendre pourquoi le sommet de ce qui a été conservé a été trouvé à quelques mètres sous la surface. En plus, il ne faut pas oublier qu’on a probablement enlevé des pierres pour les utiliser ailleurs quand les premiers restes des môles ont surgies des eaux près de la côte.
Comme déjà mentionné la partie du môle septentrional sur la terre ferme est bien conservée. Testaguzza nous donne une description élaborée des structures. Elles sont composées de diverses parties qui sont faites en employant de techniques mixtes : des blocs de pierre carrés ou des couches mixtes de ciment, tuf, pièces de briques et de mortier.
Il a été démontré que le bout occidental de la construction repose sur le fond marin à une profondeur (à l’époque Romaine) d’environ 7,5 mètres13. La partie vers la terre ferme est probablement bâtie avec un coffrage en bois rempli de ciment durcissant sous l’eau selon les prescriptions de Vitruve, éventuellement reposant sur une couche de débris instables. Puis la construction serait continuée à partir de la terre ferme avec des chariots qui roulaient sur le sommet de la digue15. Les forages les plus récents, exécutés sur l’ordre de la Soprintendenza Archeologica di Ostia sur le terrain de l’aéroport de Fiumicino, ont confirmés la direction et la dimension de la base de la partie cachée des brise-lames comme nous les avons vues dans les hypothèses de Morelli et ses collègues. Notre hypothèse actuelle sur l’état de conservation des deux parties du môle septentrional de port de Claude est qu’il y a une différence de technique de construction : du côté de la terre ferme on a employé des caissons remplis de ciment durcissant sous l’eau tandis que du côté de la mer des pierres ont été déversées pèle mêle dans l’eau. La transition soudaine entre ces deux parties, qui, comme a été prouvé, s’étend sur moins de 50 mètres, est un des arguments en faveur de cette hypothèse. Mais tout n’est pas résolu et clair ; par exemple, pourquoi on ne trouve, jusqu’aujourd’hui, aucune trace des arcs qui sont représentés sur les monnaies le long de la jetée septentrionale? Cette question sera traitée dans une contribution suivante.
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- Noten:
- 1 Texte original: http://www.ostia-antica.org/anctexts.htm, Later Texts, Pius II.
- 2 Photo de www.ancientportsantiques.com/a-few-ports/portus/#5. Source: Oleson, 2014 (British Museum)
- 3 Testaguzza O., 1970 – Portus, Illustrazione dei Porti di Claudio e Traiano e della città di Porto a Fiumicino; Julia Editrice, Roma
- 4 Giuliani C.F.,1996 – Note sulla topografia di Portus; in: Manucci V. (eds), 1996, Il Parco Archeologico Naturalistico del Porto di Traiano; Ministero per i Beni Culturali e Ambientali, Soprintendenza Archeologica di Ostia, pp. 29-44.
- 5 Morelli C., Marinucci A., Arnoldus-Huyzendveld A., 2011 – Il Porto di Claudio: nuove scoperte, in Portus and its Hinterland, recent archaeological research, Simon Keay & Lidia Paroli (eds), Archaeological Monographs of the British School at Rome, pp. 47-65
- 6 Goiran J.-Ph., Salomon F., Tronchere H., Carbonel P., Djerb H., Ognard C., 2011 – Caractéristiques sédimentaires du bassin portuaire de Claude: nouvelles données pour la localisation des ouvertures, in Keay S., Paroli L. (a cura di), Portus and its Hinterland, Archaeological Monographs of the British School at Rome, pp. 31-45.
- 7 Labacco A. (1552-1567) – Libro appartenente a l’architettura nel quale si figurano alcune notabili antiquità di Roma, Roma, Antonio dall’Abacco.
- 8 Photo de www.ostia-antica.org
- 9 “ancora rimangano vestigi della torre le quali si vedono là nel mare; tutti gli altri monumenti sono perditi interamente”
- 10 “di questa torre ne veggiamo insino ad hoggi una buona parte in pie, se non che ne sono stati tolti i marmi, dei quali ella era incrustata”
- 11 Lettres LXXI; traduction Française: remacle.org/bloodwolf/philosophes/plinejeune/six.htm
- 12 De Graauw A., http://www.ancientportsantiques.com/ancient-port-structures/failure-of-rubble-mound-breakwaters-in-the-long-term/
- 13 Goiran Jean-Philippe, Hervé Tronchère, Ferréol Salomon, Pierre Carbonel, Hatem Djerbi, Carol Ognard, 2010 – Palaeoenvironmental reconstruction of the ancient harbors of Rome: Claudius and Trajan’s marine harbors on the Tiber delta, Quaternary International 216 (2010), pp. 3-13
- 14 Dessin de www.ancientportsantiques.com/a-few-ports/portus/#5
- 15 De Graauw A., http://www.ancientportsantiques.com/a-few-ports/portus/#5
- 16 Testaguzza 1970 p. 85.